Histoire : Une affaire anglo-italienne

La scène se déroule dans un restaurant de Hambourg. John Quilter s'est rendu dans la ville hanséatique pour créer, avec le styliste culinaire Christoph Himmel, de délicats mets italiens à partir d'ingrédients frais de Toscane. Tout en dégustant un flat white, ce quadragénaire explique ce qui l'attire dans la cuisine italienne : « C'est une cuisine simple, concentrée sur l'essentiel et dont les saveurs si exquises sont obtenues grâce à des ingrédients de qualité. » C'est pour cela, poursuit-il, qu'il est important d'en faire moins avec eux - pas plus. « Avec l'âge, je me mets en retrait et je laisse le devant de la scène aux aliments et à leurs producteurs. » En Toscane, dit-il, il y a une relation spéciale entre ces deux-là.

John Quilter en sait quelque chose : la famille de sa femme italienne est originaire de Luca. Mais il parle aussi en tant que restaurateur expérimenté. En effet, à vingt-trois-ans, il a pris en charge son premier restaurant et a dirigé par la suite les établissements de grands chefs, comme Raymond Blanc et Sir Terrance Conran. En 2005, il a gagné le prix du pub de l'année et, peu après, a ouvert sa brasserie, Marmalade, récompensée par de nombreux prix. « De nombreuses cuisines, comme la cuisine française, par exemple, ont quelque chose de militaires », estime-t-il. « En revanche, la cuisine italienne est différente ; les plats se cuisinent avec le sourire. » Et en plus, elle rassemble les gens. Pour John Quilter, déguster des plats sans compagnie n'a aucun sens.

La durabilité est importante à ses yeux, tout comme le respect des gens qui produisent de leurs mains des aliments authentiques et honnêtes. En 2012, John Quilter a co-fondé Cru Kafe. Cette organisation vend du café qui est produit selon des normes de qualité bio par une tribu indigène de Colombie et qui est conditionné dans des capsules compatibles avec les machines à café Nespresso. « Nous voulions créer une marque bio équitable. Le café est apprécié dans d'innombrables cultures à travers le monde, mais il est produit par des gens qui vivent dans une extrême pauvreté. « Il est de notre devoir de les aider à améliorer leur qualité de vie. » Pour John Quilter, faire preuve de respect et d'estime envers les gens qui travaillent dur sans grande reconnaissance en contrepartie est essentiel : « Les aliments que l'on met sur la table symbolisent l'amour et le partage. En tant que consommateurs, nous devons faire les bons choix en ce qui concerne les conditions de production équitable et durable. »

John Quilter vit selon les principes de conscience et de bien-être. Il ne saurait justifier de déguster de la viande provenant d'animaux élevés dans un environnement industriel et qui ont souffert toute leur vie. « Toutes les cérémonies de guérison ont pour objectif de vivre une vie consciente. Je ne peux et ne veux plus m'écarter de cette voie », déclare-t-il. Il a cherché et trouvé des âmes sœurs dans le mode entier. Ses récits sur les plats de différentes cultures l'ont mené à découvrir des pays lointains et à élargir ses horizons : « Où que tu ailles, avoir la possibilité de regarder ce qui se passe en cuisine est une expérience unique », dit-il. « Tu vois des vrais gens dans leur élément et tu en apprends tellement en peu de temps. J'ai appris énormément de choses sur les produits et les différentes manières de les préparer. »

Être ouvert à de nouvelles expériences est sa marque de fabrique. Cela a-t-il influencé sa manière de cuisiner ? Que signifie être créatif pour lui ? « La liberté », répond-il, mais aussi une certaine part de résistance : « Pour moi, suivre une recette, ce n'est pas vraiment cuisiner. » Il considère que la créativité repose sur la capacité à éprouver de la joie en expérimentant. Si tu te contentes de suivre des recettes, dit-il, tu n'évolues pas en tant que chef. Pour lui, les recettes sont une sorte d'autorité et d'avouer : « Je n'aime pas beaucoup l'autorité. Tu ne crées rien de neuf sans résistance. Tu dois suivre tes propres règles. »

Et te laisser guider par ta boussole intérieure. Interrogé sur son modèle, John Quilter ne réfléchit pas longtemps : c'est Fergus Henderson, un ancien architecte reconverti en chef. « Il faut savoir quel désert culinaire était la Grande-Bretagne dans les années 80 », explique John Quilter. Et de poursuivre : « Si tu voulais sortir dîner, tu avais le choix entre un restaurant chinois et un pub typiquement anglais. Il n'y avait pas de cuisine anglaise, pas de restaurants britanniques. » Enfin, jusqu'à ce que Fergus Henderson entre en scène et brise toutes les règles. Il a réinventé et réinterprété les plats anglais traditionnels. « Fergus Henderson a commencé sa carrière en tant que chef avec les valeurs dont je parle : origines, tradition, ingrédients de première qualité », explique John Quilter. « Cela m'a beaucoup influencé. »